Changer les draps et continuer à croire en la vie

J’ai couché les enfants, on avait passé un week-end reposant. Je me suis affalée dans le canapé – même dans le cadre d’un week-end reposant, sont fatigants ces bestiaux – et j’ai commencé à me détendre les muscles (scroller Insta). Une heure plus tard, j’ai entendu un bruit de fond louche dans mon casque, sans aucun rapport avec la vidéo que j’écoutais. Et pour cause : ça provenait de la chambre des enfants. Ni une ni deux je me suis retrouvée sur mes jambes et me suis précipitée pour m’enquérir : le petit était assis dans son lit, plié en deux par des maux de ventre. Sacripan! lui ai-je dit. Encore une astuce pour dormir avec moi. Mais je lui avais déjà refusé les quatre nuits précédentes, et il était 22 heures donc j’ai cédé. Je lui ai enroulé une écharpe autour du ventre, l’ai posé du côté libre de mon lit et suis restée quelques minutes à ses côtés.

Grand bien m’en a pris parce qu’un quart d’heure plus tard, il vomissait sur ma couette en satin de coton. Ainsi que sur l’oreiller, le drap housse et l’alèse. Et sur lui-même, ce qui l’a littéralement dégoûté. Il se regardait comme s’il était recouvert de bouse de vache – faut dire que la digestion n’ayant pas fonctionné, des pâtes torsades régurgitées dans l’élan s’étaient accrochées à son haut de pyjama, c’était assez répugnant. Il avait un air de détresse que même toutes lumières éteintes j’ai distinctement perçu. Je l’ai donc mis bien au chaud dans le canapé (grâce à Dieu, c’est un modèle déhoussable, le canapé), en priant tout de même pour avoir le temps de lancer une machine, nettoyer le lit et ses alentours et changer les draps avant le prochain jet. Il était 22h30 et je courais partout dans l’appart pour réparer les méfaits le plus vite possible. Par souci de confort pour mon fils de 3 ans, mais également, ne nous voilons pas la face, par souci de confort pour moi-même dans le but d’éviter autant que possible que le prochain jet ne s’étale sur le canapé ou pire, sur des draps à peine changés.

C’est un challenge ça aussi – en plus de courir sans bruit parce qu’il est 22h30 et que l’appart étant petit, il serait dommage de réveiller l’aîné par inadvertance – changer les draps d’un lit 2 places quand on a tous les muscles détendus et qu’on est fourbu, c’est un challenge. Qui a suffisamment d’énergie pour réussir ça? Pas moi. Enfin là en l’occurrence j’ai réussi, parce que je n’avais pas le choix (comme quoi, ne jamais cesser de croire) mais enfin c’était pas confort. J’aurais largement préféré fermer les yeux, claquer des doigts et voir le travail effectué en les rouvrant.

Ca n’a donc pas été le cas et je courais silencieusement (concept) de la salle de bain à ma chambre tout en passant régulièrement une tête dans le salon pour vérifier l’état de l’enfant (et de mon canapé). J’ai réussi à aller jusqu’au bout de ma mission, à recoucher l’enfant dans mon lit puis j’ai rangé la table du dîner (pas eu le temps de dîner moi-même. Et après on se demande pourquoi on reste mince, ah ah), préparé celle du petit-dej, démaquillé mon visage encore hébété et me suis glissée sous les draps. J’écoutais le souffle du petit et guettais les bruits suspects qui précèdent une salve. Pas de bruits suspects mais de petits gémissements, échos d’une tourmente intérieure qui me serrait le coeur.

Il m’a fallu un moment pour lâcher prise et oser m’endormir mais après un temps que j’ai estimé raisonnable, j’ai sombré dans le sommeil. C’est alors que j’ai entendu une autre voix. Je n’ai que deux enfants, pensai-je. Pas de doute, c’est l’autre. J’ai avisé mon portable : 2h33. Pas de chance Hortense. J’ai jeté un coup d’oeil au petit qui dormait du sommeil du juste et me suis levée aussi prestement qu’une nonagénaire en cherchant à me remémorer pourquoi j’avais voulu des enfants.

Le grand était, à son tour, assis dans son lit, en proie à des maux de ventre. Je me suis mordu la lèvre et j’ai senti les larmes monter. J’aurais préféré dîner avec Jordan Bardella plutôt que de revivre l’essuyage de vomi et le changement de draps à 2h36. Je l’ai fermement invité (euphémisme) à se rendre immédiatement aux toilettes pour que le vomi arrive à bon port et à temps. Mais il ne se passait rien. Pour une fois que j’étais prête, rien. Pas une goutte de vomi. On est restés là, comme deux ronds de flanc, à attendre pour valider la fausse alerte. L’enfant étant une pure merveille (euphémisme), il s’excusait de m’avoir dérangée pour rien et comme je suis moi-même un exemple de témérité, je l’ai aussitôt acquitté du dérangement et suis restée dans la posture de la maman calme et rassurante, les fesses gelant progressivement sur le carrelage non chauffé. La menace passée, chacun a regagné ses pénates et dormi les quelques heures qui restaient, moi sursautant encore systématiquement à chaque gémissement du petit, tenue par la peur du retour du vomi sur mes draps propres.

Quand au matin, j’ai déposé les deux enfants à l’école, j’ai pensé que l’issue de l’histoire était miraculeuse. Je me fourvoyais évidemment : ça y est, je sens les symptômes arriver et dans deux jours, si tout va bien, c’est moi qui vomirai.

Enfin, j’aurai quand même échappé à un dîner avec Bardella.

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