Les chèvres sont mes amies

des chèvres cherchent à manger

[Le début de l’histoire c’est là]

Je ne savais pas trop quoi attendre de cette journée d’anniversaire consacrée à une « transhumance à la campagne » avec mes meilleures amies. Et des chèvres. Qui saurait? Du coup, pour tromper l’attente et pallier l’angoisse, je l’ai préparée plusieurs jours en amont. J’ai commencé par demander à une bonne âme de me prêter des chaussures de marche (merci Sophie) ; pour marcher t’avoueras, c’est plus facile que des stilettos. Après il a fallu concocter une tenue pour s’assortir. C’est pas parce qu’on ne croisera que des coquelicots qu’il faut négliger son look. Je pressentais le guet-apens des 150 photos prises ce jour-là parce que quand même, une transhumance avec des chèvres et ses meilleures potes, c’est pas tous les jours: no way que j’arbore une silhouette hasardeuse pour les 50 années à venir. Puis il a fallu se lever à l’aube un dimanche: pour être là-bas (=très loin) à 9h, je me suis levée à 6h20, ce qui a nécessité de me coucher tôt et sans boire d’alcool la veille (je déconne, on est wild). Enfin il a fallu trouver le bled. Bien sûr on a mis Waze mais la pression était abyssale. A la brousse, quand tu loupes un embranchement, tu en prends pour quinze bornes de détour. Et ça, quand tu t’es levée à 6h20 un dimanche, encore bourrée de la veille, tu n’as pas envie de le vivre.

Donc on est arrivées à bon port, c’est-à-dire au milieu de nulle part.

Dans la cour de la ferme, rustique à mort, on a été accueillies par un couple, assorti à l’endroit. Le mec, détente jusque dans son bermuda tâché, la quarantaine rayonnante après des années à trimer dans la pub à Paris, a souhaité la bienvenue aux quarante personnes qui avaient eu la même idée saugrenue que nous. On s’est tous rassemblés autour de lui, et, en nous tartinant de crème solaire parce qu’à neuf heures du matin il faisait déjà trente degrés, on l’a écouté nous énumérer le programme de la journée: huit kilomètres, puis arrêt dans un café associatif (???) puis on récupère les chèvres qui sont dans le pré à côté du café depuis une semaine et on les reconduit à la ferme. En tout, il fallait s’attendre à marcher dix-sept kilomètres.

Moi j’avais pris un sac à dos donc je me sentais prête à faire cent bornes.

Au départ j’avais prévu un autre sac, en toile beige, ambiance casual/sportswear. Tellement plus moi.

sac toile beige

Mais j’ai changé d’avis au dernier moment. Une fulgurance. Juste avant de partir, j’ai fouillé dans le placard de mon mec et j’ai trouvé son vieux sac à dos. Alors, en dépit de mon prestigieux passif mode, je l’ai substitué à la toile casual/sportswear. C’était une décision difficile.

Mais faut reconnaître que c’est pratique ces choses-là. Entre les chaussures de marche et le sac à dos, j’étais Nuria Picas.

Nuria Picas
Championne d’ultra trail, mon homologue espagnole

On est partis tous ensemble. On a traversé des villages avec des maisons fleuries et des églises, des prés et des champs avec des chevaux dedans; on a longé des rivières, on est même passés à côté d’un ancien lavoir. C’était d’un bucolique renversant.

Ancien lavoir au milieu de la campagne

Maison de campagne fleurie aux volets colorés

Lac bordé d'arbres

Devant nous ça marchait à vive allure. Les gens prenaient l’histoire au sérieux. On n’entendait pas grand-chose sauf les pas dans la terre, quelques beuglements de vaches, le pépiement des oiseaux et le pia pia de trois dindes en fin de cortège. Nous donc.

On a récupéré les chèvres. Dans le groupe des humains, il y avait une dame extatique de bonheur. J’ai cru que c’était sa première chèvre. J’ai pensé: « Toi Madame, si tu vis en ville, il est temps que tu t’expatries en province ». On a bu un jus de bouleau dans le café associatif avec que des chaises pas assorties et on est repartis dans l’autre sens, avec les chèvres. Il était onze heures du matin.

Au fur et à mesure qu’on avançait sur le chemin du retour, l’allure du groupe ralentissait. Il faisait quarante degrés à l’ombre (on marchait en plein soleil) et on avait déjà dix bornes dans les pattes. Il en restait sept. Le rythme était nettement moins vaillant qu’au départ. Au bout d’une heure à marcher en plein cagnard, les chèvres étaient exsangues, les humains titubants et les trois dindes muettes.

Par je ne sais quel miracle, on a atteint la ferme encore vivants, à midi et demi. Les filles et moi, on s’est laissé tomber, toutes desséchées, sur les bancs qui accompagnaient les tables du déjeuner, au milieu de la bergerie. On était tellement proches de la mort qu’on n’a même pas été incommodées par l’odeur des chèvres qui nous entouraient. On a avalé notre déjeuner, bouchée par bouchée, on s’est réhydratées doucement et au bout de quelques minutes, on a retrouvé forme humaine.

Le fermier parisien, qui s’était enquillé les dix-sept bornes en sifflotant, nous a servi du jus de pommes. C’était le meilleur jus de pommes de ma vie.

A la fin du déjeuner, j’ai trouvé la force de me hisser à nouveau sur mes deux jambes et de retraverser la ferme pour aller aux toilettes.

C’était des toilettes sèches.

J’ai eu envie de pleurer mais je n’avais plus assez de force. J’ai lu le mode d’emploi qui était affiché à côté du miroir, puis j’ai regardé ma tête et j’ai vu une chèvre. Avec la chaleur mes cheveux s’étaient mis à friser. En fait, à force de passer du temps avec des chèvres, tu finis par leur ressembler.

Avant de partir on s’est arrêtées au petit ruisseau. C’était beau et romantique. On a enlevé nos chaussures et nos chaussettes et on a délicatement glissé nos pieds meurtris dans l’eau claire et rafraîchissante. J’ai remis de la crème solaire et j’ai pensé qu’avec la transpiration et les chèvres, ça commençait à faire beaucoup d’effluves différentes et que le chemin du retour allait peut-être nous coûter un peu, en matière d’odorat.

On est rentrées et on s’est couchées jusqu’au lendemain.

Quand nos mecs respectifs nous ont demandé comment s’était passée la transhumance, on a préféré montrer des photos dignes et souriantes, qui ne laissaient pas une seconde transparaître les montagnes de souffrance qu’on avait endurées.

Dignité un jour, dignité toujours.

Vive les chèvres.

6 réflexions sur “Les chèvres sont mes amies

  1. J’ai commencé ma lecture, attentive. Puis il y a eu « J’ai cru que c’était sa première chèvre », et là, j’ai éclaté de rire, fait sursauter mon chat qui dormait et qui depuis me regarde en se demandant « pourquoi », parce que je n’ai pas pu retrouver un semblant de sérieux.
    Merci pour ce moment de rigolade ! Bises !

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  2. quelle aventure !! 40 personnes pour changer des chèvres de champ ? je vais me re-reconvertir en fermière moi !!! et je les coacherai tout en marchant, en voilà un beau programme !! et avec tout ça t’as pas eu d’ampoules aux pieds ?
    ps : au fait, t’as changé de copines du coup ? pour que les prochaines t’emmènent en week end à st barth…

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    1. J’ai évidemment changé de copines et pour les prochaines, commandé un modèle avec un niveau social bien supérieur🙄 C’est pas tenable sinon. Pour ta reconversion je te soutiens à 100%. Faire venir des parisiens en manque de grand air pour marcher avec les chèvres, c’est assez lucratif je pense 😁

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