Le chewing-gum

Je suis dans un espace de coworking. Une fois n’est pas coutume, je me suis extraite de mon salon pour travailler avec d’autres humains. Y a plein de gens, ils ont tous l’air d’être étudiants en arts plastiques. L’un d’eux s’installe en face de moi ; il mâchouille un chewing gum, la bouche semi-ouverte. On dirait une vache qui broute de l’herbe.

Il tapote distraitement sur son clavier, à moitié avachi sur sa chaise, tout en mastiquant consciencieusement sa pâte, la bouche semi-ouverte. Je suis non seulement en mesure d’entendre le bruit qu’il émet mais aussi d’apercevoir une partie de sa dentition. Je n’ai envie de connaître ni l’un ni l’autre, évidemment.

La nonchalance de son attitude me fait écarquiller les yeux mais je me ressaisis : tu es jeune et tolérante, me dis-je; au moins jeune. Passe à autre chose.

Je décide de me concentrer sur mon travail, mais j’entends le bruit de fond de la vache, c’est excessivement compliqué de détourner mon attention. C’est comme un bruit lancinant qui vire à l’obsession, une musique qui me ramène inlassablement à le regarder comme si ça allait me permettre de le comprendre. Mais je ne le comprends pas et lui est tout à son broutage. Je sens l’exaspération monter, ça se crispe à l’intérieur : mon périnée est remonté comme une pendule, mes cuisses serrées l’une contre l’autre et mon ventre rentré. Tu me diras, ça retardera l’incontinence, c’est déjà ça de pris. Mais j’ai quand même envie de l’étouffer avec ses cheveux sales.

Maintenant il se met à renifler, je le crois pas. Il respire hyper fort, j’ai l’impression qu’il veut me pousser à bout. Pas un regard en ma direction, pas le début d’une gêne eu égard à ce concert incommodant. Mais pourquoi ça m’arrive à moi ? Doux Jésus, la vie me met à l’épreuve, je me sens seule. Je sais que je peux basculer à tout moment. Le mec a ses écouteurs dans les oreilles donc il n’a aucune idée de l’infamie qu’il me fait vivre. Je me cramponne au bureau pour ne pas me jeter sur son visage et lui arracher un à un les poils du nez.

J’ai envie de gémir. Ca m’a tellement tendue que j’ai creusé ma ride du lion. Je vais en avoir pour 5000 balles de comblement du sillon naso-génien à cause de ce pignouf. Il est là, en détente, à émettre ses bruits de pignouf, sans la moindre idée du stress qu’il m’occasionne.

Il y a un cri en moi qui ne demande qu’à sortir, je suis à l’agonie. Ca va lui arriver en pleine face et lui déchirer les tympans, ça va être une boucherie.

C’en est trop, je me lève et décide de fuir, avant qu’il ne se mette à chantonner. J’ai survécu mais la prochaine fois je reste dans mon salon.

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